
En réponse à la demande croissante de services et aux tendances en matière de financement, certaines organisations communautaires, dont Centraide United Way, abandonnent les modèles de financement traditionnels au profit de stratégies d’investissement communautaire. Le président-directeur général Dan Clement présente trois études de cas qui illustrent le fonctionnement de ces stratégies.
L’idée de quantifier la valeur économique des organismes sans but lucratif et de bienfaisance ne fait pas l’unanimité; cependant, il s’agit d’un moteur économique peu reconnu. Le sous-secteur des services communautaires à lui seul compte une main-d’œuvre de plus de 620 000 personnes et contribue 25 milliards de dollars à l’économie canadienne. Alors que le secteur peine à répondre à la forte demande de services, tout en travaillant avec des revenus restreints, plafonnés ou en baisse, et qu’ils font face au risque de réduction du financement gouvernemental, le secteur est confronté à des difficultés financières croissantes. Parallèlement, une puissante transformation est en cours.
Pour répondre à la demande croissante de services et réagir aux tendances actuelles en matière de financement, il est de plus en plus nécessaire d’adopter des approches adaptatives et complémentaires. Certains organismes communautaires repensent donc leur rôle, en ne se limitant plus aux modèles de financement traditionnels, afin de former des partenariats qui puisent dans leur connaissance des besoins des communautés. Des bailleurs de fonds et des subventionnaires deviennent des investisseurs et des collaborateurs, et le secteur social explore des modèles de partage des risques, conjugue capitaux privés et publics et intègre l’expertise en renforcement des communautés au développement des compétences en affaires.
Centraide United Way (CUW), un réseau d’expertises locales présent dans plus de 5000 communautés au Canada, est parmi les organismes déjà profondément engagés dans ce virage comme bailleur de fonds, collaborateur, rassembleur et bâtisseur communautaire. Ce travail représente une occasion sans précédent de mieux comprendre les nouvelles tendances et de concevoir des solutions collaboratives aux défis présents dans le secteur.
Le changement en cours n’est pas que financier, il est aussi philosophique : on prend conscience qu’investir dans le développement économique communautaire peut avoir des retombées durables. Depuis des décennies, le secteur jongle avec des problèmes de main-d’œuvre et de sous-financement, souligner son rôle vital dans la croissance sociale et économique est essentiel pour bâtir la résilience à long terme.
Trois études de cas montrent comment CUW et ses partenaires composent avec ces réalités de manières adaptées à la situation locale des communautés. Nous avons mis au point des solutions évolutives qui renforcent nos liens avec chaque communauté et nous permettent de tirer d’importantes leçons pour notre secteur.
Depuis 2018, en Colombie-Britannique, l’établissement de l’Impact & Leadership Development Program (ILDP), soutenu par United Way British Columbia (UWBC) à titre d’organisme pivot, aide les entreprises sociales sans but lucratif, soit des entreprises ayant une vocation sociale jumelée à leurs objectifs financiers, à durer et à être plus résilientes. Cette initiative subventionne l’accès à du mentorat et à de l’accompagnement pour sa direction, soit des mesures rarement financées, ce qui appuie le renforcement des capacités et le perfectionnement professionnel. Le programme les aide ainsi à renforcer leur esprit stratégique, soutenir la durabilité et assurer la stabilité de leur entreprise à long terme ainsi que d’accroître son rayonnement et son impact.
Un cas de réussite est celui d’Elevation Outdoors, un organisme de bienfaisance qui a récemment fait l’objet d’un reportage de la CBC. Cet organisme offre aux jeunes des loisirs en plein air et des services de mentorat et de développement des aptitudes à la vie quotidienne. L’ILDP a soutenu le développement d’une nouvelle entreprise sociale de location de vélos pour générer des revenus et créer des possibilités d’emploi, tout en réduisant la dépendance aux subventions.
Le soutien que nous avons reçu nous a aidés à réfléchir de façon plus stratégique, à bâtir de meilleurs systèmes et, au final, à servir plus de jeunes.
Mike Greer, Elevation Outdoors
« L’ILDP nous a aidés à jeter les bases d’une croissance durable, en allant de l’établissement de nouvelles sources de revenus au renforcement de notre impact social », a déclaré Mike Greer, directeur général d’Elevation Outdoors. Cet organisme a également commencé à offrir des programmes de loisirs en plein air dans le cadre desquels il assure la prestation de services contre des frais dégressifs. Ces programmes sont accessibles gratuitement pour les jeunes de familles à faible revenu et réunissent des jeunes de familles à revenu mixte dans des espaces partagés. UWBC finance depuis longtemps ce programme avec une poignée de caisses populaires et de fondations communautaires : son investissement à ce jour atteint environ 150 000 $. Purppl, le partenaire du secteur privé responsable de la mise en œuvre du programme, qui est d’ailleurs elle-même une entreprise sociale, a offert son expertise spécialisée. « Le soutien que nous avons reçu nous a aidés à réfléchir de façon plus stratégique, à bâtir de meilleurs systèmes et, au final, à servir plus de jeunes. Cela a été un catalyseur pour notre organisme et notre communauté », a déclaré M. Greer. Ce programme a aidé plus de 50 organismes à fonder ou faire croître des entreprises sociales et des entreprises qui génèrent des revenus tout en rendant plus viable la prestation des services dont les communautés ont besoin. Ces emplois et les retombées sociales durent bien au-delà des cycles de financement et peuvent être reproduites dans d’autres communautés.
Son succès a reposé sur un changement de paradigme : on en est venu à considérer un programme de subventions comme une stratégie d’investissement communautaire. À long terme, on a bien vu que ces entreprises sociales constituaient des investissements et que leurs retombées n’étaient pas que financières, mais aussi sociales. En partenariat avec UWBC, Purppl a offert l’encadrement nécessaire pour améliorer les compétences de chaque entreprise, notamment en offrant du mentorat à la direction des entreprises en matière de gestion de l’information et de modélisation financière, des stratégies qui ont augmenté les compétences en affaires de chaque entreprise.
Des organismes comme des caisses populaires se réunissent maintenant autour de la même table. Leur relation n’en est plus une de concurrence sur le marché, mais de collaboration communautaire. Toutefois, la véritable leçon tirée par UWBC reposait dans l’épanouissement de leur rôle traditionnel de bailleur de fonds, dans un contexte qui exigeait l’établissement de partenariats intersectoriels pour combler des lacunes en matière d’expertise. Pour le secteur social, ce changement de mentalité vient avec un repositionnement : nous devenons des investisseurs dans la résilience des communautés à long terme.
À Calgary, un partenariat entre United Way of Calgary and Area (UWCA) et Innovate Calgary a produit des leçons semblables : les fonds de démarrage peuvent rendre possible la création d’entreprises sociales, mais en leur apportant un soutien complet, on améliore leur durabilité. Grâce à leur partenariat, UWCA et l’Université de Calgary ont créé UCeed, un fonds de développement social qui propose du financement de démarrage et dont les retombées sont à la fois économiques et sociales. Grâce à la capacité de recherche de l’Université de Calgary et de la crédibilité de UWCA, ce fonds, d’une valeur de 4,55 millions de dollars, est géré conjointement, ce qui permet à chaque partenaire de participer au processus d’approbation des investissements en fonction de ses objectifs. Jusqu’à présent, UCeed a financé 24 entreprises sociales, lesquelles répondent à des problèmes sociaux complexes et génèrent des revenus qui permettent de renouveler le fonds à perpétuité, tout en stimulant le développement économique par la création d’emplois et même des recettes fiscales.
En investissant dans des entreprises qui produisent un rendement à la fois social et financier, nous soutenons des innovations qui reflètent nos valeurs et créent des possibilités économiques durables.
Geoff Couldrey, United Way of Calgary and Area
« Notre partenariat pour le fonds UCeed se démarque par une nouvelle approche dans la façon dont United Way of Calgary and Area développe son impact communautaire », a déclaré Geoff Couldrey, directeur de la transformation à United Way of Calgary and Area. À l’instar de l’ILDP, UCeed travaille en collaboration étroite avec les organismes financés, en leur fournissant du soutien pour qu’ils puissent étendre leur portée et augmenter leurs revenus. Pour UWCA, ce rôle d’investisseur était inédit abordant une orientation différente : plutôt que de mesurer seulement les retombées immédiates, comme c’est la norme dans l’industrie actuellement, il voulait considérer les retombées économiques et sociales à long terme, ce qui n’est généralement pas possible dans le cadre de subventions et de prêts à court terme. « En investissant dans des entreprises qui produisent un rendement à la fois social et financier, nous soutenons des innovations qui reflètent nos valeurs et créent des possibilités économiques durables, » a déclaré M. Couldrey. « C’est un modèle de responsabilité partagée qui favorise la résilience. »
Le développement social est à la base de chaque investissement, et il soutient les entreprises sociales à obtenir un rendement financier, et à atténuer les risques, par la mise en commun de subventions provenant de sources multiples, ce qui permet aussi de financer un plus grand nombre de projets. UCeed bénéficie du vaste réseau d’UWCA et des ressources auxquelles il peut accéder, ainsi que de l’expertise de l’Université de Calgary en matière commerciale. Ceci lui permet d’offrir un modèle de financement évolutif qui continue à créer des débouchés économiques même des années après l’octroi de la subvention initiale. On voit ainsi la valeur de ne pas se limiter au rôle de bailleur de fonds; en effet, l’investissement dans le développement social renforce la résilience face à l’incertitude économique.
Une autre initiative basée à Toronto s’adresse au fait que la revitalisation des quartiers ne profite pas toujours aux personnes qui y vivent. Le secteur communautaire est depuis longtemps conscient du problème et c’est d’ailleurs ce qui a inspiré la création de l’Inclusive Local Economic Opportunity (ILEO). Cette initiative est le fruit d’une convocation collaborative entre United Way Greater Toronto (UWGT) et BMO Groupe financier.
Reconnaissant que le secteur privé soit un acteur clé dans le traitement de ce problème social complexe, ILEO réunit des partenaires provenant de tous les secteurs pour travailler au niveau des quartiers, afin que les retombées soient concentrées dans une région géographique définie et soit plus faciles à décrires. Une table de leadership a été mise sur pied pour orienter et promouvoir le travail, rassemblant des partenaires des secteurs privé, public et communautaire.
Nous savions que nous avions besoin d’une véritable collaboration entre les secteurs pour avoir un impact significatif. Les membres de la table de leadership ont contribué de nouvelles façons, et en amenant leurs réseaux, leurs connaissances et leur main-d’œuvre.
Darryl White, BMO Groupe financier
« Lorsque BMO Groupe financier a établi son partenariat avec United Way Greater Toronto pour organiser l’initiative ILEO conjointement, nous savions que nous avions besoin d’une véritable collaboration entre les secteurs pour avoir un impact significatif. Les membres de la table de leadership ont contribué de nouvelles façons, et en amenant leurs réseaux, leurs connaissances et leur main-d’œuvre », a déclaré Darryl White, chef de la direction de BMO Groupe financier.
Pour le secteur privé, cela a entraîné un recadrage dans la dynamique de travail : il ne s’agit plus seulement de donner de l’argent, mais de partager la responsabilité. Ainsi, les parties travaillent ensemble à concevoir des solutions, en prenant des risques stratégiques et en mettant en commun leur savoir-faire. À titre d’exemple de contribution d’un partenaire du secteur privé, mentionnons le travail réalisé avec l’équipe de projet de UWGT pour élaborer un cadre de mesure des effets produits.
Le travail à l’échelle des quartiers a permis aux partenaires du secteur privé de comprendre plus facilement leur impact sur la communauté. Par conséquent, ils se sont montrés activement engagés dans la mise en œuvre, comme en témoigne l’exemple d’Aecon Golden Mile, une entreprise partagée, détenue à 51 % par la communauté et à 49 % par Aecon. Au sein de cette entreprise, les gens qui résident dans le quartier sont formés et embauchés pour effectuer des travaux liés aux services publics, et 51 % des profits sont remis à la communauté.
« L’initiative ILEO est un exemple parfait du fonctionnement de United Way Greater Toronto : nous travaillons dans les quartiers où l’on a besoin de nous et nous réunissons les partenaires nécessaires pour apporter les changements requis », a déclaré Heather McDonald, présidente-directrice générale de United Way Greater Toronto.
La responsabilité partagée était essentielle à l’initiative ILEO, laquelle a été désignée comme l’une des innovations phares du Canada pour les transformations urbaines alignées sur les objectifs de développement durable des Nations Unies.
« Aujourd’hui, l’impact combiné de notre travail est un rendement financier de plusieurs millions de dollars pour les personnes qui vivent dans ces communautés, et nous élargissons maintenant la portée géographique de notre travail », a déclaré M. White. Le succès d’ILEO ne se mesure pas seulement aux retombées financières pour la communauté, qui s’élèvent maintenant à plus de 15 millions de dollars, mais inclut aussi le fait que tous les secteurs ont maintenant voix au chapitre dès la conception.
En invitant le secteur privé, les gouvernements, les bailleurs de fonds et les organismes communautaires à travailler ensemble pour répondre aux priorités de la population locale, UWGT agit non seulement à titre de co-bailleur de fonds, mais aussi de rassembleur et de leader. Cette pratique améliore ses connaissances en matière de pratiques commerciales, de méthodes d’évaluation et de renforcement des capacités, et apprend à utiliser tout cela au profit de la population locale et de la participation économique inclusive.
Chacune de ces initiatives, et plusieurs autres encore, démontre comment le réseau CUW a appris la valeur de la collaboration intersectorielle, adoptant une optique d’investissement communautaire, allant au-delà du rôle de bailleur de fonds pour embrasser celui de rassembleur, d’investisseur principal et de partenaire d’affaires. Toutefois, nous ne devons pas oublier le rôle que notre secteur doit jouer en défense des intérêts, alors qu’une crise grandissante menace la main-d’œuvre du secteur social. Les difficultés de recrutement et de maintien en poste ajoutent à la pression que les organismes communautaires subissent devant la nécessité de toujours faire plus avec moins. Centraide United Way Canada, le bureau national du réseau CUW, dirige une coalition diversifiée de partenaires dans la mise en œuvre d’une stratégie complète sur la main-d’œuvre centrée sur le secteur des services communautaires au Canada.
En période d’incertitude économique, il est essentiel que nous plaidions en faveur d’investissements accrus dans le secteur social, et que les bailleurs de fonds, les sociétés et les autres partenaires trouvent des moyens de travailler en partenariat avec les communautés pour créer de la valeur économique et sociale à long terme, afin que les communautés puissent prospérer pendant les années à venir.
